Enregistrer l’entretien préalable au licenciement à l’insu de l’employeur, n’est pas un délit pénal d’atteinte à l’intimité de la vie privée 

 

Le salarié, ou le délégué syndical qui l’assiste, peut enregistrer l’entretien préalable au licenciement sans commettre de délit pénal. Pour autant, il ne pourra pas forcément s’en servir devant le conseil de prud’hommes pour prouver les propos tenus par son employeur.

L’affaire tranchée par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 avril 2023 concernait un délégué syndical qui avait enregistré les propos tenus lors de l’entretien préalable au licenciement d’un salarié qu’il assistait, sans le consentement de l’employeur.

Le directeur général de l’entreprise a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef d'atteinte à l'intimité de la vie privée par enregistrement de paroles tenues à titre privé ou confidentiel. Pour ce faire, le directeur général s’appuyait sur l’article 226-1 du code pénal, selon lequel le fait de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en enregistrant, au moyen d'un procédé quelconque, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel sans le consentement de leur auteur constitue un délit. La peine encourue est de 1 an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende (c. pén. art. 226-1).

Le directeur général n’a pas obtenu gain de cause : un non-lieu a été prononcé, ce que la chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé.

 

À noter : le non-lieu est une décision du juge d'instruction qui estime, par exemple, que les faits ne constituent pas un délit (c. proc. pén. art. 177). Il met fin aux poursuites pénales. La partie civile peut, comme en l’espèce, faire appel d’une ordonnance de non-lieu (c. proc. pén. art. 186).

Pour les juges, l'entretien préalable au licenciement entre dans le cadre de la seule activité professionnelle du directeur général.

Ils en ont justement conclu que son enregistrement n’est pas de nature à porter atteinte à l'intimité de sa vie privée, quand bien même les propos enregistrés auraient été tenus dans un lieu privé.

Pour mémoire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà admis que le salarié qui enregistre, à l’insu de l’employeur, l'entretien préalable à son licenciement n’est pas coupable du délit d'atteinte à la vie privée dans la mesure où les propos tenus entrent dans le cadre de la seule activité professionnelle, à savoir un licenciement (cass. crim. 16 janvier 1990, n° 89-83075, B. crim. n° 25).

À notre sens, la solution devrait être la même si c’est l’employeur qui enregistre l’entretien préalable au licenciement d’un salarié.

Devant les prud’hommes, l’enregistrement « pirate » de l’entretien préalable est en principe une preuve irrecevable

Si le salarié, ou la personne qui l’assiste au cours de l’entretien préalable à son licenciement, enregistre cet entretien sans le consentement de l’employeur, c’est a priori pour se constituer une preuve des propos tenus.

Or, à notre sens, cette preuve est illicite et donc, en principe, irrecevable devant un conseil de prud’hommes. En effet, une preuve obtenue déloyalement, ici parce que l’enregistrement est fait à l’insu de l’employeur, est en principe illicite (c. proc. civ. art. 9 ; Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, art. 6 et 8).

Elle est par là même irrecevable, comme cela est par exemple le cas pour l’enregistrement d'une conversation téléphonique privée effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués (cass. soc. 6 février 2013, n° 11-23738 FPPB).

Cela étant, le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI). Ce qui est vrai pour l’employeur qui cherche à prouver les faits et gestes d’un salarié, devrait l’être pour le salarié qui veut prouver les propos de son employeur. Mais là, tout dépend du contexte. À suivre.

Cass. crim. 12 avril 2023, n° 22-83581 FD