Responsabilité civile et pénale de l’employeur et du salarié

La responsabilité du fait personnel dans les rapports individuels du travail: L’abus de droit

Plan de la séance

A) L’abus de droit dans l’exercice d’un droit issu du contrat de travail

B) L’abus de droit dans l’exercice d’un droit issu de la loi

Introduction

Qu’est-ce que l’abus de droit ?

L'abus de droit est une notion juridique qui permet de sanctionner tout usage d'un droit qui dépasse les bornes de l'usage raisonnable de ce droit. Elle existe dans la plupart des systèmes juridiques dits de droit civil.

Cette notion d'abus de droit pose des limites à la liberté de mettre de mettre en oeuvre des droits qui lui sont pourtant reconnus par la Loi, soit expressément, soit parce qu'ils ne sont pas spécifiquement interdit.

Elle constitue donc un piège pour tous ceux qui veulent prendre la Loi au mot afin tourner à leur avantage tous les non dits qui y figurent.

L’abus de droit est l’acte contraire au but de l’institution, à son esprit, à sa fonction sociale, à sa finalité.

L’abus de droit ne se caractérise pas par l’intention de nuire, mais simplement par un détournement de la finalité du droit.

Ce détournement caractérise la faute, que ne commettrait pas le « bon père de famille ».

L’abus de droit est une notion juridique d’inspiration morale: il marque l’existence d’un « conflit entre un droit positif appartenant à une personne et un devoir moral lui incombant; en usant de son droit, elle manque à son devoir moral ».

Le fondement juridique de l’abus de droit est la responsabilité civile délictuelle (1382 et 1383 du Code civil).

Il en résulte que l’abus de droit :

- ne suppose pas un acte positif: une abstention peut être abusive;

- ne suppose pas une faute intentionnelle: tout exercice anormal d’un droit, même par imprudence, est source de responsabilité.

Différence entre la fraude et l’abus de droit

La fraude suppose un élément intentionnel, ce qui n’est pas toujours le cas de l’abus de droit.

Les deux notions sont cependant très voisines et la jurisprudence tend à les assimiler.

1) L’abus de droit dans l’exercice d’un droit issu du contrat

L’employeur peut mettre en application les clauses du contrat de travail

Exemples:

            clause de mobilité,

            clause de non-concurrence,

            clause de dédit-formation,

            etc…

Mais son pouvoir de direction ne doit pas permettre le détournement de la finalité de la clause qui serait utilisée afin d’inciter le salarié à démissionner ou à des fins discriminatoires, ou dans un but de nuire.

Pour les juges: toute clause contractuelle connaît la limite de l’abus.

Exemple de la clause de mobilité

Il ne suffit pas de faire signer une clause de mobilité à un salarié pour avoir le droit de l’envoyer n’importe où.

L’usage de cette clause doit être loyal, et elle doit s’exercer avec respect et diligence envers l’autre partie.

La mise en œuvre de la clause doit correspondre aux intérêts de l’entreprise.

Les juges apprécient la manière dont est appliquée la clause de mobilité,  la situation de la personne, notamment sa vie privée et l’intérêt de l’entreprise.

- l’application de la clause ne peut primer sur des situations incontournables de la vie privée.

- la justification de la décision: l’employeur doit apporter la preuve que la décision repose sur un élément objectif.

La manière dont l’employeur met en œuvre la clause de mobilité est tout aussi importante:

Un délai de prévenance doit être respecté. L’employeur ne doit pas agir avec précipitation.

Exemples:

- En imposant à un salarié, par télégramme, après 45 mois de travail sur le même poste, une nouvelle affectation distante de 150 km, à gagner dans les 24 heures.

(Cass. soc. 16 février 1987, n° 84-43047)

- En décidant une mutation à près de 800 km du domicile du salarié en accordant un délai de réflexion de 48 heures.(Cass. soc. 1er déc.2004, n° 03-40306)

2) L’abus de droit dans l’exercice d’un droit issu de la loi

a)L’abus du salarié refusant un reclassement

b)L’abus du droit de démissionner

c)L’abus du droit de rompre le contrat du fait de l’employeur

d)L’abus dans la succession des contrats précaires

a) Le refus de reclassement

Dans certaines hypothèses, l’employeur est tenu de proposer au salarié un reclassement sur un autre poste de travail (inaptitude, alternative à un licenciement pour motif économique).

Ce reclassement peut entraîner une modification du contrat de travail: dans ce cas, le salarié est libre de refuser.

Cependant, le refus ne doit pas être abusif.

L’abus se caractérise généralement par l’absence de motif légitime.

 

Exemple: le salarié qui refuse systématiquement toute proposition disant qu’elle est incompatible avec son état de santé, ou sans motif légitime alors que l’emploi est approprié à ses capacités, ou correspondant à celui qu’il occupait avant son accident.

b) L’abus du droit de démissionner

1ère limite: respect de l’obligation de préavis résultant des usages, des conventions collectives, du contrat de travail.

2ème limite: « La résiliation du contrat de travail à durée indéterminée, à l’initiative du salarié, ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages et intérêts » (C. trav. art. 1237-2).

Exemples de ruptures abusives

-Le départ d’un expert-comptable dans le but de nuire à l’employeur: cass. soc. 26 juin 1959

-la cessation du contrat avant même que le salarié ait pris son emploi, sans motif valable et avec une légèreté blâmable cass. soc.26 avril 1967

-le fait pour un salarié de quitter immédiatement son employeur afin de créer une entreprise concurrente: cass.soc.21mars1979

-le passage soudain au service d’une entreprise concurrente peut être  constitutif de faute lourde: cass. soc. 16 mars 1977

Mais inversement…

N’est pas abusive la démission en vue d’exercer une activité concurrente: cass. soc. 18 janvier 1995.

-Des faits survenus postérieurement à la démission ne peuvent la rendre abusive: cass. soc. 18 janvier 1995.

-la seule inexécution du préavis ne donne pas à la rupture un caractère abusif en l’absence d’intention de nuire ou de légèreté blâmable: cass. soc. 14 octobre 1987.

-l’employeur doit démontrer l’abus et non seulement l’inexactitude des faits invoqués par le salarié: cass. soc. 22 juin 1994.

Conséquences de la rupture abusive

Dommages et intérêts dus par le salarié à l’employeur (art. L. 1237-2 du Code du travail),

et,responsabilité du nouvel employeur!

Responsabilité du nouvel employeur

« Lorsqu’un salarié ayant rompu abusivement un contrat de travail conclut un nouveau contrat de travail, le nouvel employeur est solidairement responsable du dommage causé à l’employeur précédent dans les cas suivants:

1° S’il est démontré que le nouvel employeur est intervenu dans la rupture;

2° si le nouvel employeur a engagé un salarié qu’il savait déjà lié par un contrat de travail;

3° si le nouvel employeur a continué d’employeur le salarié après avoir appris que ce dernier était encore lié à un autre employeur par un contrat de travail.(…) »

(C. Trav. Art. L. 1237-3)

Cet article n’est applicable que lorsque le salarié a rompu abusivement son contrat de travail, et non lorsqu’il a démissionné régulièrement pour entrer au service du nouvel employeur.

 

c) L’abus dans la rupture du fait de l’employeur

Si l’employeur peut librement mettre fin aux relations contractuelles avant l’expiration de la période d’essai, ce n’est que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus.

l’employeur a le droit de licencier un salarié s’il a une cause réelle et sérieuse justifiant la rupture (licenciement injustifié) et encore faut-il qu’il respecte la procédure de licenciement et que le licenciement ne soit pas vexatoire.

Rupture du contrat pendant la période d’essai

Il est possible de faire intervenir l’abus de droit pour sanctionner la rupture du contrat au titre de la période d’essai.

« Mais attendu que si, en principe, chaque partie au contrat de travail est libre de rompre, sans donner de motif, au cours de la période d’essai, il n’en résulte pas que cette rupture ne puisse être fautive. »

Il y a abus de droit sanctionné par des D&I, lorsque les véritables motifs de la rupture sont sans relation avec l’aptitude professionnelle ou personnelle du salarié à assumer les fonctions qui lui sont dévolues: on parle alors de détournement de la période d’essai.

De façon générale, il ya abus lorsque l’employeur tient compte de considération « non inhérentes à la personne du salarié, telle que la conjoncture économique (Cass soc 24 nov 1999, n°97-43054), ou la suppression de son poste (cass soc 20 nov 2007, n°06-41212).

La preuve de l’abus incombe évidemment au demandeur.

L’abus de droit dans le licenciement : le licenciement vexatoire

Un salarié peut prétendre à des dommages et intérêts lorsqu’il établit que son licenciement s’est déroulé dans des conditions vexatoires ou humiliantes, même si l’employeur dispose d’un motif réel et sérieux et qu’il respecte la procédure

de licenciement.

d) L’abus de droit dans la reconduction des CDD

Principe: entre deux CDD conclus pour le même objet, l’employeur doit respecter un délai de carence (sauf exception).

Ce délai de carence démontre que le besoin de l’entreprise sur un poste de travail donné ne correspond pas à un besoin permanent.

Le respect du délai de carence peut parfois caractériser l’abus de droit.

L’employeur ne peut pas non plus recourir de façon systématique au CDD de remplacement pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre.


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Responsables Nationaux

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Gérard Fourmal

Président du syndicat national
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Jean –Marc MONDESIR

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