Consultation et expertise du CHSCT : le projet soumis aux représentants du personnel doit être important et de nature à modifier les conditions de travail

Pour certains CHSCT, l’expertise est devenue un instrument efficace, mais détourné de sa finalité, pour créer ou entretenir un climat social délétère permettant de suspecter des risques psycho-sociaux derrière tout projet patronal soumis à leur avis. On se gardera toutefois, de généraliser cette réalité propre, il faut le souligner, à une minorité d’entreprises.

Toujours est-il, que le juge, plus souvent saisi aujourd’hui qu’auparavant d’actions en contestation de désignation d’expert, a pris conscience du risque d’instrumentalisation de ce droit, comme l’attestent certaines décisions très récentes ayant refusé l’intervention d’experts.

Une expertise est légitime lorsque le projet patronal modifie de façon importante les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail

Rappelons au préalable, que la loi prévoit deux hypothèses de recours à un expert par le CHSCT :

·         Lorsqu’un risque grave révélé ou non par un accident du travail ou une maladie professionnelle est constaté dans l’établissement, nous n’aborderons pas dans le cadre de cet article cette hypothèse ;

·         En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. C’est dans le cadre de cette seconde hypothèse que la jurisprudence dont nous voulons faire état, est intervenue.

Comme on peut s’en douter, c’est à l’évidence, l’adjectif « important » qui prête à interprétation. Qu’est-ce qu’un projet important ? Quels critères adopter pour apprécier cette importance qui justifie la désignation d’un expert, sachant qu’il existe deux acceptions de l’importance ?

L’une caractérise une quantité, elle suppose la mesure d’une chose : une somme d’argent ou pour prendre un autre exemple qui concerne d’avantage notre sujet, un effectif de salariés. L’autre attribue de la valeur à quelque chose ou quelqu’un.

Concernant notre hypothèse, la première acception peut éventuellement influencer la conviction du juge, mais en ce cas, l’élément chiffré est retenu seulement comme une donnée parmi d’autres. La Cour de cassation a notamment jugé que « le nombre de salariés concernés ne détermine pas à lui seul l’importance du projet » en cause (1). L’importance n’est donc pas évaluée quantitativement, ce qui ne peut surprendre, tant il est difficile sinon impossible de mesurer l’importance d’un projet patronal. En effet, quelle unité de mesure employer ?

C’est donc la seconde acception qui est retenue par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 8 février 2012 (cass. soc. 8 février 2012, n° 10-20376) la Cour a ainsi dénié à un CHSCT le droit de désigner un expert, considérant que le projet de l’employeur qui consistait à déployer de nouveaux logiciels et à fournir aux consultants intervenant dans les entreprises clientes des ordinateurs portables, ne provoquait pas de modifications importantes sur les conditions de travail des salariés « en termes d'horaires, de tâches et de moyens mis à leur disposition ».

Dans un précédent arrêt en date du 4 mai 2011, la chambre sociale avait employé la même formule pour refuser au CHSCT d’un magasin appartenant à une société d’hypermarchés le droit de désigner un expert. Elle avait ainsi jugé qu’aucun des deux projets ayant été présentés aux représentants du personnel, n’avait « de répercussion importante sur les conditions de travail de ces salariés en termes d’horaires, de tâches et de moyens mis à leur disposition » (2).

Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation fournit une esquisse de sa méthode d’appréciation de l’importance du projet patronal. Celle-ci doit permettre de répondre à la question : le projet a-t-il des répercussions concrètes sur les conditions de travail des salariés appréciées grâce à un faisceau d’indices : horaires, tâches ou moyens mis à disposition des salariés pour travailler ?

Ce faisceau d’indices qui s’enrichira probablement au fil des décisions rendues, doit ainsi permettre d’évaluer concrètement l’importance du projet litigieux, grâce au filtre de la comparaison chronologique avant/après (3) des conditions de travail,.

En revanche, lorsque le CHSCT n’apporte pas d’éléments permettant au juge de se poser la question des répercussions concrètes sur le projet soumis à l’avis des représentants du personnel, celui-ci refuse alors de qualifier le projet de l’employeur d’important. Ainsi en a-t-il été jugé de l’introduction d’une version améliorée d’un logiciel déjà en application dans les unités d’interventions, le CHSCT estimant, en l’espèce, qu’il existait « un risque de sous-traitance rampante du métier de chargé d’affaire » (4). L’incidence du projet sur les conditions de travail n’étant pas avérée, mais seulement hypothétique, les conditions de désignation d’un expert n’étaient donc pas remplies, car la finalité de l’expertise est bien d’analyser les répercussions du projet sur les conditions de travail et non de démontrer que celui-ci est suffisamment important pour justifier une expertise.

Cette nouvelle jurisprudence permet aussi un autre regard sur le rôle et les missions du CHSCT

Le développement des risques psycho-sociaux dans l’entreprise et la conjugaison depuis 2002 de la santé des salariés au mode mental, constituent, on le sait, les principales raisons de la montée en puissance des CHSCT et de l’extension de leur champ d’action qui, à l’origine il faut le rappeler, était limitée aux décisions patronales visant l’organisation « matérielle » du travail (5).

Cette extension ne peut cependant pas être sans limite. Comme l’a déjà jugé, le Tribunal de Grande Instance de Versailles, le CHSCT ne dispose pas d’un « droit discrétionnaire qui lui permettrait d’exiger d’être consulté et de faire appel à un expert pour tout projet de réorganisation au motif que tout projet génère nécessairement une inquiétude des salariés » (6).

A cet égard les arrêts précités du 8 février 2012 et du 4 mai 2011 (voir supra) présentent un intérêt particulier. Le faisceau d’indices sur lequel s’appuient ces décisions permet ainsi d’une part, d’apprécier l’importance du projet et d’autre part, de réactiver le tropisme originel du CHSCT vers les conditions de travail envisagées d’un point de vue concret (horaires, tâches moyens mis à disposition des salariés), sans néanmoins, nier que celles-ci doivent aussi, depuis 2002, être appréciées à travers le prisme de la santé physique et mentale.

En d’autres termes, si, comme on a pu le soutenir, le CHSCT aujourd’hui « s’invite dans les opérations économiques » (7), les débats se déroulant en son sein ne peuvent et ne doivent pas pour autant avoir un caractère économique. Les échanges de cette nature doivent être réservés au comité d’entreprise qui demeure l’institution compétente en la matière.

On soutiendra même que l’occurrence d’une redondance consultative (comme on le constate souvent et malheureusement en pratique) entre les deux institutions représentatives, doit, de notre point de vue, absolument être évitée, au risque d’appauvrir l’ensemble des débats et de ne concevoir la consultation du CHSCT que comme une formalité supplémentaire.

 

Fabrice Signoretto

Newsletter n°28 - Mai 2012

(1) Cass. soc. 10 février 2010, n° 08-15086 et dans le même sens, cass. soc. 26 janvier 2012, n° 10-20353 (26 salariés sur 1 000 en l’espèce)
(2) Cass. soc. 4 mai 2011, n°09-66556
(3) En ce sens, M. Caron et P.Y. Verkindt, Dr. Soc. avril 2012, n° 4, p. 386
(4) Cass. soc. 4 mai 2011, n°09-67476.
(5) En ce sens, la circulaire ministérielle relative au CHSCT du 25 mars 1993, citée par E. LAFUMA, article précité
(6) TGI de Versailles du 21 novembre 2006, cité par E. LAFUMA, article précité
(7) JCP S 2010 122


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